Interview

Interview : “Le changement climatique agit sur l’évolution de la méningite en Afrique de l’Ouest”

“Apport des données satellitaires à la modélisation spatio-temporelle de l’épidémiologie de la méningite en Afrique de l’Ouest dans un contexte de changement climatique : Cas de la Côte d’Ivoire.” C’est le thème du mémoire de master soutenu par Axelle Tano le jeudi 25 juillet 2024 au Centre Universitaire de Recherche et d'Application en Télédétection (CURAT) de l’Université Félix Houphouët-Boigny. Axelle était encadrée par Dr Adonis Krou Damien du CURAT. Elle est membre du groupe de recherche Écosystème et Santé des Populations (ESA) du Centre Suisse de Recherche Scientifique en Côte d’Ivoire (CSRS) où elle travaille sous la supervision de Dr Diallo Kanny et Dr Richard Yapi. 

L’objectif poursuivi par Axelle à travers cette recherche était de caractériser le lien entre l’incidence de la méningite et les paramètres climatiques (température, vitesse du vent, aérosol et humidité relative). Pour ce faire, Axelle a utilisé des données satellitaires et des données provenant de la Direction de l’Information Sanitaire (DIS) de Côte d’Ivoire. Ces données renseignent sur le nombre de cas de méningite, l’année et les localités concernées. À partir d’une méthode de représentation visuelle appelée la symbologie graduée, Axelle a classé le nombre de cas de méningite par région et par année aboutissant à une carte d’évolution des cas de méningites par région et par année en Côte d’Ivoire. Il ressort de son étude que de tous les paramètres climatiques, seule la température a un lien statistiquement significatif avec la méningite. 

Axelle en dit plus sur son étude et le lien entre le changement climatique et l’évolution de la méningite en Afrique de l’Ouest dans cette interview. 

  1. En quoi est-ce que le changement climatique agit-il sur l’évolution de la méningite en Afrique de l’Ouest et plus spécifiquement en Côte d’Ivoire ?

Axelle Tano : Le changement climatique agit sur l’évolution de la méningite en Afrique de l’Ouest plus spécifiquement en Côte d’Ivoire car, selon la littérature, la méningite se transmet beaucoup plus rapidement en saison sèche, précisément durant l’harmattan (vent sec ….). L’on peut donc émettre l’hypothèse que certains facteurs du climat durant cette période favoriseraient sa transmission. Ces facteurs climatiques sont entre autres la température, l’humidité relative, l’indice d’aérosol et la vitesse du vent, qui doivent être réunis afin de constater un plus grand nombre de cas de méningite. Étant donné que nous sommes confrontés au changement climatique, une évolution de ces différents paramètres dans certaines régions permettant d’avoir un climat propice à la transmission de la méningite, pourrait expliquer l’action du changement climatique sur l’évolution de la méningite en Afrique de l’ouest plus spécifiquement en Côte d’Ivoire.

Il est important de rappeler que la ceinture africaine de la méningite part du sud du Sahara de la mer rouge à l’atlantique entre les isohyètes 300 mm et 1100 mm. Elle se situe entre les latitudes 10 et 15 degrés nord. 

  1. Qu’est-ce qui permet de constater ou prouver cette influence du changement climatique sur l’évolution de la méningite ?

Axelle Tano : Ce qui permet de constater ou de prouver le lien qui existerait entre les variabilités des paramètres climatiques dans un espace donné et les cas de méningite dans ce même espace au cours du temps, est le cumul de cas détecté dans la zone. Il est important de savoir qu’en Côte d’Ivoire, la moitié Nord du pays est connue comme l’espace où sévit la méningite. Cependant, ces 20 dernières années, un nombre de cas élevé de méningite est de plus en plus observé au centre et au sud de la Côte d’Ivoire. Cela pourrait donc être dû à une évolution des paramètres climatiques sous l’effet d’un changement climatique favorable à la transmission de la méningite.

  1. Pouvez-vous svp, nous décrire comment les données satellitaires sont collectées et analysées en vue de renseigner sur l’épidémiologie de la méningite ?

Axelle Tano : Les données satellitaires ont été collectées sous forme d’un fichier csv à partir de trois plates-formes. La première plate-forme est Power access data. La deuxième est Google earth engine et la troisième est Giovanni. Les données ont été collectées puis interpolées, c’est-à-dire des valeurs numériques leur ont été attribuées à partir de points connus (plus le nombre de points connus est élevé plus l’interpolation est importante) au travers de la technique de Pondération Inverse de la Distance ou IDW. C’est une méthode d'interpolation spatiale, un processus permettant d'assigner une valeur à tout point d'un espace à partir d'un semis de points connus. Ces données collectées correspondent au lieu et à la date auxquels les cas de méningite ont été rapportés. Ceci, pour nous permettre d’établir le lien entre ces différents paramètres climatiques et l’incidence de la maladie. Enfin, faire une modélisation avec la méthode de régression binomiale négative. C’est une méthode qui est utilisée le plus souvent lorsque nous avons des données de comptage et une variance plus élevée que la moyenne (sur dispersion). Elle se fait à partir de la fonction glm.nb inclue dans le logiciel R.

 

 

  1. En quoi la modélisation est-elle importante dans la recherche et les interventions en santé en Afrique ?

Axelle Tano : Un modèle est une représentation simplifiée d’un système réel afin de répondre à un besoin. Les approches de la modélisation en santé sont importantes et complémentaires car elles permettent de comprendre la distribution, la dynamique et le lien entre la maladie et les paramètres climatiques dans notre cas. Elles peuvent être utiles également pour la prédiction de la présence de la maladie, le risque de transmission pour aider à la prise de décision.

  1. Quelles sont les perspectives de recherche et de pratique en matière d’usage des données satellitaires dans la lutte contre la méningite en Afrique de l’Ouest dans un contexte de changement climatique ?

Axelle Tano : Pour les perspectives, nous proposons de reprendre l'étude à une échelle fine (spatiale et temporelle) et de faire une étude de cartographie du risque de la méningite en Côte d’Ivoire. Il faudra aussi faire cette étude à une échelle plus grande voire 30 ans afin de mieux apprécier le changement climatique dans l’évolution des différents paramètres climatiques. Dans le cadre de mon master, j'ai utilisé des données sur une courte période (six ans). Cependant, dans le cadre du projet VIMC2 sur lequel je travaille avec Dr Yapi et Dr Diallo et nos collaborateurs britanniques de l’Université de Cambridge, nous envisageons d'étendre le travail à un nombre d'années plus élevé (on a déjà les données depuis 2002) et également à d'autres pays de la ceinture Africaine de la méningite tels que la Guinée et le Mali. En plus de cela, il serait bénéfique de produire une carte à risque de la méningite en Côte d'Ivoire qui nous permettra de réunir un grand nombre de paramètres qui entre en ligne de compte dans la survenue de la méningite.

  1. Quel est votre message à l’endroit des jeunes femmes qui pensent ne pas pourvoir faire la recherche scientifique ? 

Axelle Tano : Je voudrais d'abord dire que les études scientifiques ne sont pas réservées aux passionnés de chiffres ou de formules. Elles sont pour toutes celles qui ont la curiosité de comprendre les phénomènes (leurs créations, évolutions, risques ou répartitions, etc.) et le courage de chercher des réponses. La recherche scientifique n'est pas l'apanage d’un groupe spécifique. Il est important de ne pas se limiter à la peur ou au doute lié au genre. Vous êtes femme certes mais vos idées peuvent ouvrir des portes vers des découvertes cruciales ! N'ayez pas peur d'échouer, soyez courageuses, apprenez chaque jour et perfectionnez-vous. Surtout croyez en vous !

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